DÉDALE ET ALCHIMISTES,
Architecture moléculaire, laboratoire et théâtre du son.
Installation visuelle et sonore de Véronique Bourgoin et Jeanne Susin
le Samedi 5 juillet
Avec la participation de Ysé Bonachera, Dana Grigore, François Lecoq et Faustine Rousselet.
Les visites sont guidées par Daria Horsh,
architecte et urbaniste à la Ville de Montreuil.
Visites entre 14h et 20h
inscription via Explore Paris
Visite privée à 18h30 en présence
des deux artistes, suivie d’un apéritif.
Un événement programmé dans le cadre de
Jardins ouverts, une manifestation organisée à
l’initiative de la Région Île-de-France .


Dédale et Alchimistes ©Véronique Bourgoin, 2025 on a music by Jeanne Susin
Un essai de Claudia Washington
Dans le vaste jardin suspendu de Mozinor, belvédère végétalisé qui s’ouvre sur la ville, se noue une conversation fortuite entre deux artistes de corps et de passages.
La plasticienne Véronique Bourgoin et la musicienne compositrice Jeanne Susin enlacent leurs univers respectifs — le processus du Tableau Périodique des Éléments Usuels et l’album La Fileuse. L’œuvre prend la forme d’un opéra accidentel, composé d’un prélude et de dix tableaux.
Le dialogue entre leurs œuvres joue avec l’accidentel, tout en s’appuyant sur des affinités profondes, inscrites dans un ADN commun — qu’il s’agisse de leur lignée féminine, de leur intérêt partagé pour les structures élémentaires de la matière, ou encore de leur expérience commune sur le site de Mozinor, où elles partagent un atelier depuis cinq ans. Cette connexion se révèle dans leurs thématiques, leurs poétiques et leurs constructions conceptuelles, bien que chacune développe une œuvre distincte, autonome et singulière. Une géométrie invisible est au cœur de ce dialogue : celle de l’organisation atomique, dont la molécule est la première unité matérielle isolée. Elle nous renvoie aux agencements indécelables du vivant, du politique et des affects. Monomères, monochrome et note musicale : les particules deviennent unités de construction, et la chimie devient langage architectural, révélateur de l’ordre, du désordre, et outil de restauration.
Le Tableau Périodique des Éléments Usuels de Véronique Bourgoin, comme l’écrit l’historien John Welchman, est né d’une enquête sur les mécanismes de manipulation et la violence silencieuse qui traversent nos sociétés contemporaines. En écho aux pensées de Günther Anders, l’artiste conçoit une critique visuelle de la contamination idéologique et chimique du quotidien, en érigeant une sorte de « double sombre » du tableau de Mendeleïev. Elle y classe les éléments toxiques produits par l’économie mondiale, en les associant à une échelle chromatique issue de recherches numériques. Ce dispositif se mue en scènes théâtrales critiques et poétiques : des tableaux peuplés de figures troubles, où le spectateur, confronté à un mannequin effondré et recouvert de faune et flore locales, active une lecture ambivalente du pouvoir, de la vérité et de la fiction. Chaque scène — jardin, fontaine, socle, arène, esplanade — convoque figures, sons, objets gelés, clowns-messagers et molécules incarnées. Les mannequins tricotent le réel, les flacons jouent aux échecs, les oiseaux veillent, les écrans filtrent les encres du temps. Ce projet prolonge un geste entamé dès 1977 dans un laboratoire pharmaceutique, à travers une installation de flacons colorés aux allures d’échantillons scientifiques, qui se transforment ici en pions d’échecs dans une partie entre un homme et un chien, et où lumière et toxicité servent de matériaux sensibles pour penser l’invisible.
La Fileuse, à son tour, est la plus récente œuvre musicale de Jeanne Susin, dont la référence clé est le personnage d’une alchimiste-guérisseuse, ainsi décrite par l’artiste : « Elle œuvre là où les regards ne portent plus, maniant une dangereuse mélancolie sur la pointe de son aiguille. » L’expérience sonore des morceaux proposés pour l’installation est riche en sensations corporelles et en images symboliques. Grâce à des titres évocateurs, empreints du ton narratif et théâtral propre à l’artiste, on entend La Fileuse manier des ondes grenues dans des artères de perle, ou faire couler des liquides aigus à travers les mailles de l’après-midi. On y saisit des sourires diaphanes, éclatés dans l’espace. Une apparition spectrale, formée de 0 et de 1, y fait circuler son énergie minimale : la machine nous aiguille. Le corps est immense : même la cage thoracique contient le temps, de l’équinoxe au solstice, une loge des saisons. Nous suivons sa ligne tendue, guide de déblocage. Nous, comme des Icares-papillons aux ailes brisées, n’attendons qu’une goutte amoureuse. Elle est La Fileuse, mi-mythe, mi-archétype.
Les jardins seront ouverts. Les dés sont jetés. Gare à vous. Égarez-vous !